Morgane Sézalory, fondatrice de la marque Sézane, qui s’apprête à fêter ses 10 ans, savoure cette décennie de réussite auprès des français. Elle nous livre ses sentiments, ses nombreux projets. À 37 ans, cette maman de deux petites filles nous parle de la déco et de l’architecture, deux passions qu’elle vit profondément.
- Que ressentez-vous à l’aube des 10 ans de Sézane ?
Morgane Sézalory : « L’immense joie d’éprouver le même enthousiasme qu’au début de notre aventure. Je travaille depuis mes 18 ans, cela fait donc vingt ans, et pourtant c’est comme un éternel souffle qui se renouvelle, nourri par le plaisir de la création et de l’entrepreneuriat. J’aime aussi le fait d’avoir réussi à construire une équipe et appris à la diriger, moi qui n’avais jamais travaillé dans une autre société auparavant. Cela prouve que l’on peut réussir d’une autre façon, sans business plan mais grâce à son instinct, sa passion et en mettant du cœur à l’ouvrage. Le mot fierté ne fait pas partie de mon vocabulaire, mais oui, on peut dire que je suis contente du chemin parcouru ».
- Quelle est la ligne de conduite d’une cheffe d’entreprise ?
Morgane Sézalory : « Le goût de la liberté, l’instinct, et une bonne dose de confiance en soi. Il en fallait, je crois, pour lancer juste après le bac la première marque de mode sur Internet, alors que tous mes amis faisaient des études et que personne n’y croyait autour de moi. À l’époque, Internet était un mystère pour beaucoup, même pour moi. Mais j’avais un besoin de liberté immense et je savais que je ne pourrai pas m’adapter au monde du travail classique, très hiérarchisé. Heureusement ma mère m’a toujours appris à ne pas m’attacher aux choses matérielles, à considérer que la richesse est avant tout intérieure. Je crois que ça m’a permis de prendre des risques et créer un cercle vertueux. Car finalement la seule chose qui m’importe c’est d’être indépendante financièrement pour ne pas avoir à demander à un homme (ou à une femme d’ailleurs !) ce que je dois faire ».
- Sézane, est l’œuvre de votre vie ?
Morgane Sézalory: « J’ai construit Sézane pour pouvoir être enfin moi-même, et réussir à l’être de plus en plus. Mais je me suis longtemps sentie seule dans cette bulle. Aujourd’hui, j’aime l’idée que Sézane puisse permettre à d’autres femmes de grandir en interne. J’essaie donc de favoriser le dialogue, le bien-être mais aussi la possibilité de questionner l’entreprise, d’être soi en un mot. Et je n’hésite pas non plus à les pousser hors du nid quand je sens qu’elles ont une vocation pour se lancer en solo. Pour moi, la vraie beauté de Sézane c’est l’intérieur, le fond ».
- D’où vient votre sens de la mode ?
Morgane Sézalory : « De ma mère et de ma grand-mère qui ont le talent extraordinaire d’embellir le quotidien avec trois fois rien. Mes grands-parents avaient neuf enfants et vivaient de manière très modeste. Comme ils ne pouvaient offrir à chacun un cadeau, ma grand-mère préparait pour chaque anniversaire un très beau gâteau. Comment créer une émotion et la transmettre, plutôt que d’offrir quelque chose de matériel ? Cette philosophie imprègne ma manière de concevoir la mode et mon esthétique en général. Cela passe beaucoup par l’attention aux détails : une bougie posée sur une table, un tissu fabriqué par un artisan, une certaine composition dans la couleur. En France, le système éducatif fait croire aux enfants qu’ils ne pourront pas réussir s’ils n’ont pas tel ou tel talent, par exemple celui de savoir dessiner pour devenir créateur de mode. Cela me désole parce que, finalement, beaucoup de directeurs artistiques à succès ne savent même pas réaliser un croquis… ».
C’est quoi votre source d’inspiration ?
Morgane Sézalory : « J’aime composer mes collections comme des tableaux. Dès les premières semaines, je vais donc chercher des harmonies de couleurs, de matières et je les trouve souvent dans les détails d’une peinture. Cela a été le cas dernièrement lors de ma visite de l’exposition « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort », au musée d’Orsay*. Je ne connaissais pas toutes les périodes de son œuvre mais j’ai été frappée par la richesse et l’intensité exubérante de sa palette. Mon rapport à la couleur est très viscéral, émotionnel. J’ai vécu jusqu’à l’âge de 5 ans à Kinshasa. Au pays des Sapeurs, la couleur et le vêtement sont des facettes très importantes de la vie et de la culture. Cela a incontestablement façonné ma rétine… ».